Santé mentale, tabous et discriminations ne font pas bon ménage
Aujourd’hui, c’est la Journée Mondiale de la santé mentale, l’occasion de revenir sur sa définition, ce qui la conditionne, et les enjeux pour lever les tabous et discriminations qui favorisent les clivages, jugements, moqueries et autres violences réjouissantes (non) qui nous empêchent de prendre soin de nous.
Comment est définie la santé mentale ?
L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) déclare qu’« il n’y pas de santé sans santé mentale », et la définit ainsi : « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ».
Cette définition me gêne un peu car elle laisse entendre qu’une personne sans emploi serait nécessairement en mauvaise santé mentale ou atteinte d’un trouble psychique (ce qui n’est pas toujours le cas), que notre état de santé justifierait qu’on soit productif ou non. On peut aller tout à fait bien et ne pas avoir envie de participer à la productivité comme le capitalisme l’entend. Mais ce n’est pas le sujet du jour.
Ce qui me dérange aussi dans cette définition c’est que d’une certaine manière, elle tend à laisser croire que les personnes atteintes d’un trouble psychique serait forcément en mauvaise santé (dans le sens de vivre dans le mal-être) alors qu’avec une bonne prise en charge, on peut tout à fait bien vivre. Et c’est d’ailleurs là aussi que le travail de sensibilisation à ces questions est important : vivre en errance ou sans diagnostic est une source de mal-être qui impacte négativement notre quotidien.
De même qu’on peut traverser une période de mal-être sans avoir de trouble psychologique. La vie est faite d’événements tristes, de transitions, d’échecs et c’est notre capacité à prendre soin de notre santé mentale - entre autres - qui va nous aider à les traverser du mieux possible.
Quels sont les facteurs qui influent sur notre santé mentale ?
Le bien-être mental est procuré par des relations sociales satisfaisantes, une activité (ou une passion) épanouissante, une bonne estime de nous-même. 60% de notre santé générale est déterminée par notre style de vie, nos conditions socio-économiques, notre environnement et notre contexte sociétal. Et comme pour la santé physique, beaucoup de facteurs extérieurs à nous-même ont des conséquences sur la qualité de notre santé mentale.
Cela signifie que nous ne sommes pas toutes égales pour accéder à une bonne santé mentale (mais ça on s’en doutait).
Quels sont ces facteurs ?
Il existe plusieurs classifications, j’ai une préférence pour celle proposée par Minds, structure qui fait la promotion de la santé mentale en Suisse.

1. Les ressources psychologiques et individuelles
La capacité à gérer ses émotions, les compétences relationnelles, les facteurs génétiques et biologiques
Les + : estime de soi, bonne santé physique
Les - : difficulté à communiquer, facteurs biologiques ou génétiques, maladies et incapacités
2. Les tissus relationnel et socio-économique
L’enfance, la famille, les ami.e.s, les collègues, la vie de quartier, l’éducation, l’emploi, le revenu, les dettes…
Les + : soutien social, bonnes relations familiales, sécurité économique
Les - : expériences négatives les premières années de la vie, isolement sociale, pauvreté, chômage, décrochage scolaire, stress, angoisse…
3. Contexte politique et sociétal
La politique social, économique et culturelle, logement, services sociaux, système de santé, violence et criminalité, accès à la nature, infrastructure, environnement et risques…
Les + : politiques favorisant l’inclusion et l’équité économique et sociale
Les - : discriminations, inégalités entre les sexes, inégalités sociales…
Lien entre santé mentale et discriminationS de genre et de classe*
Oh la surprise. Quand on est pauvre, ou une femme, ou LGBTQ+, ont est plus exposé.e.s aux risques de dépression et autres troubles mentaux. Quelques chiffres pour illustrer mon propos : les populations défavorisées sont trois fois plus impactées par les problèmes de santé mentale, tout comme les personnes trans (56% d’entre elleux ont connu un épisode dépressif en 2020), les lesbiennes (24%), les femmes hétérosexuelles (13%) alors que les hommes hétérosexuels, eux, étaient concernés seulement pour 6% d’entre eux.
La manière dont les personnes précaires sont instrumentalisées par le gouvernement (et tous les précédents, rien de nouveau sous le soleil, mais disons que ça s’est normalisé ces dernières années, en même temps que les discours racistes) à une incidence sur la santé mentale aussi. Quand on veut faire croire que les chômeurs et les bénéficiaires des minima sociaux profitent du système, c’est une manière de les criminaliser aux yeux de la société, et cela a une incidence sur l’estime de soi et donc, la santé mentale.
La discrimination concerne également la question de l'accès aux soins. D’un point de vue financier d’abord (une consultation chez un.e psychiatre dépasse les 100€ à Paris, les psychologues ne sont pas remboursé.e.s), mais aussi de désert médical. Enfin, l’accès à l’information sur les possibilités de soins et les maladies mentales.
Discriminations + tabous = refoulement, isolement et aggravations
Ça serait presque trop facile si on avait un « seul » problème. Non, car bien sûr, la santé mentale est un sujet TABOU. Non seulement on a tendance à associer les troubles mentaux avec une défaillance personnelle (ah tiens, c’est encore de notre faute !), mais en plus, dans notre société patriarcale et capitaliste où l’éducation est genrée, les hommes refoulent leurs émotions négatives pour préserver leur virilité (« un homme c’est fort, ça ne pleure pas ») quand les femmes, elles, sont jugées plus fragiles, voire capricieuses, que leurs symptômes ne sont pas pris au sérieux et qu’elles ont elle aussi tendance à ne pas se faire confiance et à négliger, voire refouler, leurs émotions.
On le voit dans la pensée positive, où ces tabous sont souvent utilisés subtilement pour nous faire culpabiliser et ressentir une forme de honte de soi face à nos émotions dites négatives ou à nos pensées intrusives.
On le voit aussi dans les insultes psychophobes du langage commun ; « tu es folle », «espèce de malade mental.e » mais aussi dans les à priori qu’on peut avoir sur les personnes qui vont mal ou les neuroatypiques. Quand on dit à une personne qui n’arrive pas à se sortir d’un état dépressif qu’il suffit qu’elle se bouge, c’est violent.
Mais que faire, bordel ?
Quelles sont les solutions pour que tout le monde puisse prendre soin de sa santé mentale ?
ll faut des sous. Du fric, du flouze, du blé, de l’oseille. Pour :
sensibiliser aux différents troubles et maladies mentales,
faire de la prévention pour reconnaître les premiers signes de mal-être, les symptômes d’une maladie psychique,
déconstruire les tabous et développer un discours plus inclusif,
donner accès aux soins à touTEs.
Et pour cela une volonté politique est nécessaire. Et elle englobe toutes les problématiques sociétales citées dans cet article, et au-delà.
* Il me semble qu’aucune étude liée à la race n’existe en France (parce qu’en France on ne voit pas les couleurs, et comme on ne les voit pas c’est magique, les problèmes disparaissent ! Vive la France !)
Sources : INSERM, Santé Publique France, Psychom, Minds.